Amber, Johnny, Internet et le système d’injustices
J’ai besoin d’écrire sur ça, sur ce bouleversement inconfortable, ce serrement un peu nauséeux dans mon plexus, ce dérangement profond de ma paix intérieure. Mes convictions féministes ont pris quelques baffes en plein visage, quel visage, quelle posture veux-je présenter quand je me sens ecchymosée dans mes valeurs ?
J’ai suivi informellement, comme bien des jeunes, le procès entre Johnny et Amber, mais surtout ce que des milliers d’internautes en avaient à dire. Moi qui, à une autre époque, n’hésitais pas à me jeter dans la mêlée pour défendre les personnes vulnérables et affirmer ma position d’alliée, comme dans le procès de Dre Christine Ford et du juge Brett Kavanaugh, qui m’avait aussi profondément bouleversée, non seulement, je ne savais que croire, mais je n’osais plus parler, de peur d’être mise au bûcher virtuel pour avoir dérangé l’ordre établi, comme elle, comme Amber.
Parce que j’avais d’abord entendu, lu pendant des années des interprétations ici et là que Johnny était victime, qu’Amber était violente. Parce que ce n’était plus clair pour moi, qui disait la vérité. Parce que je voyais bien que le discours majoritaire ridiculisait Amber, et c’est bien un euphémisme. Parce que ça allait bien au-delà des dénonciations habituelles. Quand des féministes dénoncent un agresseur (je le mets au masculin parce que c’est plus de 9 fois sur dix un homme, mais oui, ça peut être une femme, comme dans le cas de Marie-Pier Morin sur Safia Nolin), on dénonce, on critique, on ridiculise peu. On peut être sévères, oui, mais on sait que toustes, victimes et agresseurs, sont humain.e.s, et on respecte le vécu très chargé émotionnellement pour les survivantes. On sait que rire de ces drames n’est pas une option pour nous, parce que ça en fait souffrir trop, et qu’en rire n’est pas un motif suffisant pour faire revivre ces horreurs, même si on sait aussi que dénoncer peut souvent déclencher de mauvais souvenirs et les conséquences émotionnelles, physiques et spirituelles qui viennent avec.
Le mépris amusé de la majorité des vidéos avec une musique ludique, des imitations grotesques et des montages vilisants illustrait trop bien que cette dénonciation d’une présumée agresseuse (je ne parle jamais d’agresseur présumé parce que les agresseurs sont rarement présumés, ils sont d’abord agresseurs, car on ne croit pas assez les victimes et qu’on protège les hommes de pouvoir et les agresseurs le sont souvent, mais dans ce cas-ci, j’utilise consciemment le terme « présumée », car il serait difficile pour moi de croire aveuglément qu’Amber est agresseuse principale) n’était pas portée par des féministes, mais bien par des masculinistes misogynes sans scrupules et probablement inconscients (j’espère) des mécanismes perfides qu’ils utilisaient pour exprimer leur propre inconfort face à ce qui se déroulait sous nos yeux à travers les vitres déformées de nos écrans.
Ce qui a cogné les parois de ma limite de bénéfice du doute offert à Johnny parce que oui, les hommes peuvent être victimes, même si plus de 7 fois sur 10, les victimes sont féminines, c’est un témoignage déchirant d’Amber, qui racontait avec émotions des violences sexuelles horribles que Johnny lui a fait subir. Je n’entrerai pas dans les détails pour préserver ce qu’il reste de douceur pour les survivantes qui ont dû fuir ou affronter cette torture de couverture de procès. Ça impliquait une bouteille de vitre, un vagin, une absence de consentement et au moins un être humain morcelé par cette scène de trahison profonde de la confiance qui devrait vivre au sein d’un couple. Je dis « au moins un être humain », parce que je me doute bien que Johnny souffre aussi. Je crois que la plupart des personnes qui emploient la violence comme stratégie de résolution de conflits souffre de grandes blessures, manque d’amour pour elle-même et pour l’autre, en arrache à écouter et à exprimer ses émotions, à en prendre soin, et fait revivre continuellement des schèmes destructeurs au sein de ses relations, donc est vouée à souffrir dans son intimité et dans ses relations avec les autres et avec soi-même tant qu’elle ne changera pas comment elle est, au-delà même de comment elle agit.
Johnny a certainement souffert de cette relation et même de ce procès, Amber n’est pas blanche comme neige, personne ne l’est, et il semble y avoir eu des comportements toxiques des deux côtés. Mais. Dans les courants féministes actuels, on clame haut et fort que l’on croit les victimes, parce que c’est tellement difficile de dénoncer avec tout le système en place pour nous faire taire (je n’entrerai pas dans les explications aujourd’hui, mais je suis certaine que des explications théoriques existent sur Internet pour justifier cette position centrale), et quand j’ai entendu le témoignage d’Amber, je n’ai plus eu de doutes ; Amber est survivante. Cela ne signifie pas qu’elle n’a pas été autrice de violences aussi, cela signifie simplement qu’elle en a subies, et des pas pires à part de ça.
Soudainement, j’avais le goût de vomir en pensant à la revictimisation que des milliers d’internautes faisaient vivre à Amber en déformant son discours, en l’injuriant, en riant de son vécu traumatique comme d’un show d’humour de mauvais goût dans un cabaret qui pue la bière et le vomi de bière et le sexe dans une toilette où un graffiti scande « j’ai fourré ta mère ». Et je me suis demandé « et si c’était moi ? ».
J’ai vécu des violences sexuelles. Plusieurs. J’ai l’énorme chance de ne jamais avoir été contredite dans l’expression de mon vécu, de ne jamais avoir été ridiculisée, d’avoir toujours été crue par mon entourage, d’avoir été soutenue par plusieurs personnes qui souhaitaient mon bien. Et j’ai été brisée. Il m’a fallu des années, des médicaments et des milliers de dollars en thérapie pour me reconstruire. Je ne peux même pas m’imaginer ce que ma vie serait si j’avais été filmée en procès contre un agresseur et que des gens avaient ri de moi pendant que je mettais mes tripes sur la table de bois fancy d’une juge dans un système d’injustice où mes tripes sont écrabouillées par un marteau tenu par votre honneur alors qu’où est le mien dans toute cette histoire ? Mes traumas, je me porte mieux maintenant que je suis en mesure de ne plus y penser, de ne plus les revivre tous les jours. Pour moi, m’imaginer raconter mes pires blessures, c’est déjà souffrir, parce que je sais à quel point c’est sensible et qu’il faut énormément de douceur et de bienveillance pour ne pas me faire plus mal que j’ai eu tellement mal, j’ai eu trop mal et je ne veux plus aller là.
Quand je m’imagine, moi, dans les souliers d’Amber, je n’ai qu’une envie, lui offrir l’amour inconditionnel et bienveillant, mais surtout rassurant, que toutes les victimes méritent, parce que c’est ce que je peux faire de mieux pour l’aider à guérir ce qui ne devrait jamais être vécu, subi. Quand je m’imagine dans les souliers de Johnny, je m’imagine tellement de solitude, de détresse, derrière cette pseudo-victoire, que je lui souhaite aussi d’un jour se regarder avec sincérité, de reconnaître ses responsabilités et de se pardonner d’avoir mal aimé, mais surtout, de s’être mal aimé, parce qu’aucune somme ne remplacera le manque de bienveillance envers soi-même et envers ses proches. Même quand cette somme est incroyablement favorable à sa version du récit, ça porte le sous-texte que le mal qui lui a été fait vaut plus aux yeux de notre société que le mal qu’il a fait à Amber, que ce qu’il représente vaut plus la peine d’être protégé. Quand je m’imagine être dans les souliers de ceux qui ont diffamé en tabarnak contre celle qui est considérée coupable de l’avoir fait, je me déteste de faire vivre, de nourrir ce monstre de système patriarcal puéril, de culture du viol et de la misogynie éhontée, et ça renforce mon envie de m’éloigner de toute cette horreur, de m’enfuir, loin, avec de la nature pis des beaux humains, parce que j’ai pas l’énergie de me battre contre les feux de forêt, je suis déjà brûlée pis j’essaie de pas m’éteindre, de m’étreindre pis de cultiver du beau, ailleurs.
Cette histoire dont on ne connaîtra jamais toutes les ramifications, c’est encore la même histoire, celle du patriarcat capitaliste qui gagne la guerre contre les femmes et toutes les personnes opprimées.