Le costume d’halloween de votre fille

À quoi pensez-vous lorsqu’on prononce le mot sorcière? Au costume d’halloween de votre enfant? À une vielle folle du 15e siècle? Ou plutôt à une vraie de vraie de vraie sorcière? Moi, je pense à 200 000 personnes accusées, torturées et tuées entre la fin du 15e siècle et du 18e siècle¹. Plus de 80% des accusées étaient des femmes, forcément.* “La misogynie était au coeur des persécutions.”² C’est évident, ces femmes «dangereuses» ont été ciblées et tuées pendant trois siècles.

Afin de m’instruire sur le sujet j’ai dû (à mon plus grand malheur) acheter le Malleus Maleficarum³. Pour ceux ou celles qui ne connaissent pas ce livre, c’est un ramassis d’écrits de 78 auteurs datant du 15e siècle. Ce guide de poche** nous apprend à distinguer une sorcière, savoir la torturer, la «guérir» (On y précise cependant qu’une sorcière n’est jamais vraiment sauvée et qu’il faudrait plutôt la tuer…cherchez l’erreur). Finalement, on termine sur les méthodes d’extermination et de justice chrétienne par châtiments. Autant vous avouer que je n’ai pas réussi à lire les 657 pages d’horreur…c’était insoutenable. Je veux bien apprendre à connaitre l’agresseur, mais lire de l’absurdité comme celle-ci n’est pas non plus mon activité préférée. Et dire que des milliers de femmes ont vraiment subis ces éxécutions arbitraires!! 

             Bref, j’ai pensé vous faire un cours d’histoire sur les sorcières, voir même un texte épistémologique, mais le plus je m’instruisais, le plus je me décourageais. Parce que ce qui est important, vraiment, c’est de comprendre qu’à cause de ce génocide (oui, c’est le mot approprié pour ce qui a été fait), nous avons perdu des lignées féminine entières***. Ces femmes détenaient du savoir, elles étaient désobéissantes, soudées, sexuelles et donc y passaient en premier. Les femmes pauvres, de plus de 40 ans, souvent veuves ou ménopausées étaient aussi ciblées rapidement. Parce que c’est bien connu, une femme qui a ses règles c’est dégueulasse, mais une qui n’en aura plus jamais ça ne sert à rien! C’est déjà louche qu’une femme survive sans l’aide d’un homme au 16e siècle, c’est certain qu’elle chevauche son balai le soir pour aller chiller avec le diable!

         Ce que cette chasse aux sorcières a inscrit dans le savoir commun à ce moment (et encore aujourd’hui) c’est qu’une femme devait être docile et ne pouvait pas détenir de connaissances, sous peine de risquer la torture et la mort émise par les hommes. La soumission des femmes aux hommes est donc exprimée par la violence. À mon avis, la normalisation des violences faites aux femmes est la base même de l’inégalité des sexes. La peur des hommes qui nous habite (presque) toutes sert d’outil au système patriarcal et nous garde «à notre place». Le fait qu’on n’étudie pas la chasse aux sorcières avec sérieux et qu’on amoindrit ces actes meurtriers est un bon exemple de la tendance du patriarcat à banaliser les violences faites aux femmes afin de garder le contrôle. À quand le discours d’excuses d’une personnalité politique pour cette chasse aux sorcières? Je verrais bien cela à Salem pour bien faire chuter les ventes d’entrées au musée des sorcières! Parce que bon, faire du profit sur le dos d’un génocide,  c’est moyen.

        Donc, je vous dirais bien de ne pas déguiser votre enfant en sorcière à halloween si elle (ou il) ne comprend pas le poids historique derrière ce choix, mais je risquerais de me faire traiter d’hystérique féministe, donc je m’abstiens. 


Lucie Pagès


¹ SOLLÉE, J. Kirsten, Witches sluts and feminists : 2017 (p.27).

² CHOLET, Mona, Sorcières. La puissance invaincue des femmes : 2018 (p.15).

³ MACKAY, S. Christopher, The hammer of witches : 2006


* Nous ne pouvons pas vraiment connaître le chiffre exact étant donné que les sorcières étaient souvent brulées avec tous leurs effets personnels et leur ‘casier judiciaire’.

** À l’époque, le format du livre avait été pensé pour tenir dans une poche afin d’avoir les informations toujours à portée de main.

*** On croyait que la sorcellerie était héréditaire, il était commun de se faire accuser parce que sa mère, sa soeur ou sa tante l’avait été.

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