Les mouvements féministes au Québec – Les communautés autochtones

Le mouvement féministe au Québec – Les communautés autochtones

Contrairement au mythe de la terra nullius qui voudrait que Christophe Colomb ait découvert l’Amérique – mythe asseyant la supériorité des colons blancs chrétiens et permettant de justifier les génocides -, le continent était déjà habité par des peuples autochtones, dont la très grande majorité a immédiatement été décimée par les maladies importées (à savoir que la contamination des autochtones par les allochtones était volontaire).

Au Québec se trouvent onze Nations autochtones, formées de cinquante-cinq communautés (dont quatorze villages nordiques), appartement à trois familles linguistiques et culturelles : 

  • les huit Nations algonquiennes : les Abénaquis, les Anishinaabe (Algonquins), les Atikamekw, les Eeyous (Cris), les Malécites, les Mi’kmaq (Micmacs), les Innus (Montagnais), les Naskapis ;
  • les deux Nations iroquoiennes : les Hurons-Wendats et les Mohawks ;
  • les Inuits.

Le colonialisme de peuplement : imposer le capitalisme hétéropatriarcal

Il est d’usage de parler de sociétés matriarcales, notamment chez les Iroquoien·ne·s, mais le terme matrilinéaires semble plus pertinent. En somme, au sein de ces sociétés sédentaires reposant sur l’agriculture, la transmission culturelle, linguistique et l’appartenance à la communauté se faisaient par la mère. Au contraire, les premières nations algonquiennes étaient historiquement des peuples de chasseurs-cueilleurs nomades, organisés de façon patrilinéaire en raison de la dépendance à la chasse menée par les hommes, à l’instar des Innu·e·s. Toutefois, il n’était guère question de préséance d’un genre sur l’autre, hommes et femmes, quoique différents, étaient complémentaires et égaux – sans compter la reconnaissance du bispiritualisme, soit l’appartenance aux deux genres. Or, ces structures allaient à l’encontre de la société patriarcale capitaliste telle que connue et désirée par les colons blancs et chrétiens. Dès lors, le colonialisme de peuplement, dont l’objectif n’est autre que l’appropriation et l’exploitation d’un territoire, ce qui requiert donc l’élimination physique et symbolique des premiers peuples, a fait des femmes autochtones l’un de ses ennemis principaux – la violence sexuelle étant d’ailleurs utilisée comme outil génocidaire, selon l’hypothèse émise par Andréa Smith.

Ainsi, la Loi sur les Indiens promulguée en 1876, reposant sur les principes déjà établis par le rapport de la commission Bagot de 1844, a notamment :

  • imposé un système de gouvernance typiquement européen au détriment des valeurs et besoins des communautés autochtones ;
  • retiré aux femmes leur statut dès lors qu’elles s’unissaient à un homme allochtone, permettant ainsi de mettre un terme aux lignées des communautés matrilinéaires, imposant la filiation paternelle, et privant de leurs droits et de leur appartenance communautaire entre 500 000 et 1 million d’enfants  ;
  • donné au gouvernement fédéral la responsabilité de l’éducation des enfants afin de les assimiler à la société canadienne, provoquant ainsi la création des Pensionnats, cogérés par les Églises chrétiennes, à partir des années 1880 (quoiqu’ils existaient déjà en Nouvelle-France) – il faudra attendre 1996 pour que le dernier pensionnat ferme ses portes.

Pour en savoir plus sur les modifications apportées à la Loi sur les Indiens au fil du temps, cliquez ici.

Nota bene : lorsque les femmes ont retrouvé leur statut et sont, pour certaines, retourné dans les réserves, elles n’ont pas nécessairement été bien accueillies, notamment parce que cet accroissement de la population n’a pas été suivi d’un accroissement des ressources (budget et espace).

Femmes et mouvements des femmes autochtones aujourd’hui

Être femme et être autochtone c’est subir une double marginalisation et une double discrimination, sans compter l’accroissement de l’exclusion pour les femmes 2ELGBTQQIA, les femmes « qui vivent dans des conditions de pauvreté ou d’itinérance, celles qui sont confrontées à des problèmes de toxicomanie, d’alcoolisme ou de santé mentale, celles qui ont recours à la prostitution ou qui ont des antécédents criminels » (FAQ – Rapport complémentaire). Autrement dit, l’identité des femmes autochtones est nécessairement intersectionnelle, ce qui pousse parfois à faire passer certaines revendications avant d’autres – le territoire passant alors avant l’identité de genre.

  • La violence en chiffres
    En 2010, l’Association des Femmes Autochtones du Canada publie le rapport d’une grande enquête sur la violence vécue par les femmes autochtones, réalisée dans le cadre de la campagne Sœurs par l’esprit lancée en 2004. Cette recherche unique en son genre met en lumière le « nombre disproportionné de femmes et de filles autochtones disparues et assassinées au Canada » dont l’extrême vulnérabilité est imputée aux « répercussions intergénérationnelles de la colonisation, particulièrement ceux qui résultent des pensionnats indiens et du système de protection de l’enfance ». En effet, il est estimé que la moitié des enfants autochtones ayant séjourné dans les pensionnants ont été victimes de violence, et ce sont quatre générations qui se sont succédé en leur sein. Qui plus est, du début des années 1960 à la fin des années 1980, ce sont sans doute près de 20 000 nouveaux-nés et enfants qui ont été arrachés à leur famille (« rafle des années 60 ») pour être adoptés par des parents généralement allochtones – près de la moitié des enfants ont d’ailleurs été adoptés aux États-Unis. Or, l’abus au cours de l’enfance et les traumatismes intergénérationnels alimentent le cycle de la violence. Toujours selon le rapport, sur les 261 féminicides dans lesquels des accusations ont été portées en 2010, les suspects étaient : 45 conjoints, 14 ex-conjoints, 15 membres de la famille, 4 clients [travail du sexe] ou relations criminelles, 45 connaissances, 43 étrangers, et 95 dont on ignore la relation avec la victime. Le risque d’être assassinée par un étranger est trois fois plus élevé pour les femmes autochtones que pour les femmes allochtones – plusieurs hypothèses pourraient être émises à ce sujet.

Tout cela sans compter :

  • l’exploitation et les violences sexuelles : est estimé entre 50% et 70% le nombre de personnes autochtones ayant vécu des violences sexuelles – les cas d’inceste notamment paternel étant particulièrement nombreux -, les victimes étant principalement des femmes, et les coupables, des hommes ;
  • la stérilisation forcée des femmes ;
  • les suicides ;
  • les décès attribuables à l’alcool, aux drogues, à l’hypothermie ;
  • les décès en détention provisoire par la police, en prison, dans le système de « protection » de la jeunesse ;
  • les conséquences de l’alcoolisation fœtale, des négligences (notamment dans les services de santé), de l’autostop, de la mobilité, des gangs.

Les initiatives gouvernementales
Suite à la crise d’Oka (ou résistance mohawk), le gouvernement fédéral crée la Commission royale sur les peuples autochtones en 1991. La recherche se divise alors en quatre axes – gouvernance, territoire et économie, société et culture, Nord -, chacun étudié à travers quatre prismes – l’histoire, les femmes, les jeunes et les perspectives urbaines. Le rapport en cinq volumes, publié en 1996, repose sur un mot d’ordre : restructurer les relations. Toutefois, il est perçu comme une base de données plutôt qu’un plan d’action, et les gouvernements provinciaux n’y puiseront guère de recommandations.
En 2008, le gouvernement fédéral met en place la Commission de vérité et réconciliation du Canada, dans le cadre de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens. Il s’agit en somme d’un recours collectif pour dédommager les peuples autochtones pour les atrocités subies dans les pensionnats. Jusqu’en 2014, l’on travaille à terminer le rapport, après avoir rencontré de nombreux obstacles et puisé une grande quantité d’informations permettant de dresser un portrait difficile (abus sexuels, violences physique, malnutrition, maladie). L’ensemble des données a d’ailleurs été remis à l’Université du Manitoba. Un an plus tard, le nouveau gouvernement s’engageait à en respecter les 94 recommandations.


En août 2016, le gouvernement du Canada lance l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Une semaine plus tard, le gouvernement du Québec (qui, jusqu’à récemment, refusait de reconnaître les droits ancestraux des communautés autochtones et, de fait, de signer des traités) crée la Commission d’enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées au Québec. Vous pouvez en consulter les rapports ici. Apparaît rapidement un problème : l’absence de données (volontaire et involontaire), ne permettant pas de dresser un portrait complet de la réalité. La même année est mise sur pied la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec : écoute, réconciliation et progrès – également connue sous le nom Commission Viens -, dans l’objectif « d’enquêter, de constater les faits et de formuler des recommandations quant aux actions correctives concrètes et efficaces à mettre en place par le gouvernement du Québec et par les autorités autochtones ». Le rapport est rendu en 2019, et un rapport spécifique sur la police et les violences à l’endroit des femmes autochtones a été rédigé par Mylène Jaccoud, Marie-Claude Barbeau-Leduc et Myriam Spielvogel.

En parallèle des actions gouvernementales, les associations et organismes communautaires effectuent un travail remarquable. L’association des Femmes Autochtones du Québec fournit dossiers et boîtes à outils sur de nombreux sujet, notamment la non-violence. Découvrez également le Regroupement des Centres d’amitié autochtones du Québec, le Native’s Women Shelter of Montreal, ou encore la Maison Communautaire Missinak, ainsi que la Ligue des droits et libertés.

Les mouvements des femmes autochtones
Le féminisme autochtone repose sur deux piliers : l’intersectionnalité et le post-colonialisme. Il s’agit donc de déconstruire le colonialisme institutionnel, ainsi que le racisme systémique et ses implications, de lutter contre la dimension genrée de ce racisme, de se réapproprier une voix et un espace, tout en prenant le risque d’être marginalisée au sein de sa communauté pour avoir choisi des intérêts n’incluant pas tous les membres de ladite communauté. Ce féminisme est incarné par des personnalités telles qu’Andrea Smith, Cheryl Suzack, Ellen Gabriel, Jessica Yee, Joyce Green, Michèle Audette, Val Napoleon, ou encore Verna St Denis.
En 1974 sont créées l’association des Femmes Autochtones du Canada et sa branche provinciale, l’association des Femmes Autochtones du Québec. Une certaine solidarité se tisse alors entre la mouvance autochtone et le féminisme québécois contemporain ; toutefois, certaines femmes autochtones ne se reconnaissent pas dans ce féminisme – le terme même étant encore aujourd’hui parfois décrié..
Le mouvement Idle No More incarne le renouvellement d’un féminisme autochtone militant. Créé par Jessica Gordon, Sylvia McAdam, Sheelah McLean et Nina Wilson en 2012, le mouvement s’oppose au projet de loi C-45 initié par le gouvernement conservateur de l’époque, qui diminuait l’autonomie des Première Nations tout en étant écologiquement désastreux. D’autres revendications émergent, résumées ainsi par Widia Larivière, cofondatrice d’Idle No More Québec :

  • ramener la démocratie au Canada (représentation proportionnelle, consultation concernant les législations touchant aux droits collectifs et à la protection de l’environnement) ;
  • appliquer la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, notamment en reconnaissant le droit des peuples autochtone à dire non au développement sur leur territoire  ;
  • cesser toute politique et tactique d’assimilation ;
  • respecter les traités ;
  • agir contre la violence touchant les femmes autochtones et tenir une enquête nationale indépendante sur les 1200 femmes autochtones disparues et assassinées durant le deux dernières décennies.

    Pour en savoir plus sur la postérité du mouvement, consultez cet article de la Gazette des Femmes.

Outre les milieux militant et universitaire, les femmes autochtones sont présentes dans différentes sphères, notamment artistiques, et plus particulièrement littéraire, l’on pense à An Antane Kapesh, Joséphine Bacon, Naomi Fontaine, et Natasha Kanapé Fontaine, ou encore cinématographique, avec Alanis Obomsawin ou, plus récemment, Karen Pinette Fontaine.

Alexia Damois
Rédactrice et fondatrice de Causons féminisme.

Sources

  • Association des Femmes Autochtones du Québec. « Ce que leurs histoires nous disent – Résultats de recherche de l’initiative Soeurs par l’esprit ». En ligne.
  • Andrea Smith. 2005. Conquest : Sexual Violence and American Indian Genocide. Boston : South End Press. 
  • Audrey D. Doerr. 2006. « Commission royale sur les peuples autochtones ». L’Encyclopédie canadienne. En ligne.
  • Aurélie Arnaud. 2014. « Féminisme autochtone militant : quel féminisme pour quelle militance ? ». Nouvelles pratiques sociales 27 (n°1) : 211–222.
  • Béatrice Chateauvert-Gagnon. 2017. Notes de cours. « Genre et politique : le colonialisme de peuplement ». Université de Montréal.
  • Bob Joseph. 2018. 21 things you may not know about the Indian Act. Port Coquitlam : Indigenous Relations Press.
  • Carol-Anne Vallée. 2017. « Femmes autochtones et violence – Représentation médiatiques : à l’intersection de la race et du genre ». Mémoire présenté comme exigence partielle de la maîtrise en travail social de l’Université du Québec à Montréal. En ligne.
  • Gisèle Levasseur. 2009. « S’allier pour survivre – Les épidémies chez les Hurons et les Iroquois entre 1634 et 1700 : une étude ethnohistorique comparative ». Thèse présentée à la Faculté des études supérieures de l’Université Laval dans le cadre du programme de doctorat en anthropologie pour l’obtention du grade de docteur. En ligne.
  • Gouvernement du Québec. Secrétariat aux affaires autochtones. 2011. Amérindiens et Inuits  : portrait des nations autochtones du Québec, 2è Édition. En ligne.
  • Julie Perreault. 2015. « La violence intersectionnelle dans la pensée féministe autochtone contemporaine ». Recherches féministes 28 (n°2) : 33-52.
  • Karine Gentelet. 2014. « Idle No More : identité autochtone actuelle, solidarité et justice sociale : entrevue avec Melissa Mollen Dupuis et Widia Larivière ». Nouvelles pratiques sociales 27 (n°1) : 7-21.
  • Lucie Ève-Marie Bourque. 2016. « La transmission ancrée dans le territoire chez les femmes autochtones au Québec : analyse politique et symbolique d’une revendication ». Mémoire présenté comme exigence partielle de la maîtrise en communication de l’Université du Québec à Montréal. En ligne.
  • Marie Léger et Anahi Morales Hudon. 2017. « Femmes autochtones en mouvement : fragments de décolonisation ». Recherches féministes 30 (n°1) : 3–13.
  • Michael Bopp, Judie Bopp et Phil Lane. 2003. « La violence familiale chez les Autochtones au Canada ». Collection recherche de la Fondation autochtone de guérison. En ligne.
  • Niigaanwewidam James Sinclair et Sharon Dainard. 2016. La rafle des années 1960. L’Encyclopédie canadienne. En ligne.
  • Ry Moran. 2015. Commission de vérité et réconciliation du Canada. L’Encyclopédie canadienne. En ligne.
  • Widia Larivière. 2017. Notes de conférences. « Mouvements des femmes et féminismes autochtones ». Université de Montréal.

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