L’histoire du mouvement féministe – La deuxième vague – Le féminisme radical

L’histoire du mouvement féministe – La deuxième vague – Le féminisme radical

Si l’on trouve des féministes radicales dès le tournant du XXè siècle, le mouvement en tant que tel s’organise et se crée une identité à part entière à la fin des années 1960, en réaction aux courants précédents ou contemporains. Ainsi, il accuse le confort du féminisme libéral qui fait primer l’individu sur le collectif, manquant ainsi l’analyse de la responsabilité des structures de pouvoir, et récuse le féminisme marxiste en ce qu’il remet exclusivement en cause ces structures, à défaut d’en questionner également les acteurs.

Définir le mouvement
Ainsi qu’en témoigne son nom, l’objectif du féminisme radical est de retourner aux racines de l’oppression des femmes. Selon Robin Morgan, l’une des principales théoriciennes du mouvement, ces racines renvoient au sexisme systémique qui alimente à la fois « le racisme, la lutte des classes, l’agisme, la compétition, la catastrophe écologique, ainsi que l’exploitation économique » ; autrement dit, le patriarcat. Elle ajoute que les révolutions modernes ne sont en réalité que des « coups d’État entre hommes, dans le but de secouer les branches sans réellement retirer les racines, afin de préserver leurs privilèges masculins ». En réponse à cela, le féminisme radical propose une révolution par et pour les femmes ; d’une part, en mettant au cœur de sa théorie l’expérience de toutes les femmes en tant que classe opprimée, notamment au travers de l’appropriation des corps féminins, d’autre part, en redéfinissant de manière autonome ce qu’implique l’égalité et la libération, en dehors du cadre sémantique masculin. 

La définition des femmes en tant que classe opprimée est essentielle à la compréhension de la dynamique du mouvement. Car, cette formation en tant que groupe permet, selon Ti-Grace Atkinson, de pouvoir résister communément à l’offensive masculine qui tue les femmes dans une continuité historique déconcertante. Qui plus est, elle y voit le socle des autres oppressions, autrement dit, l’opposition binaire entre les hommes et les femmes crée le premier antagonisme de classe sur lequel se construisent les autres. L’objectif devient alors l’anéantissement de toute hiérarchie afin de créer une société basée sur la coopération, où le pouvoir est partagé.

Aussi le féminisme radical lie-t-il intimement la théorie et la pratique. D’aucuns l’ont accusé de manquer d’assises théoriques précisément parce qu’il s’agissait d’un mouvement avant tout centré sur la création d’un changement tangible, en somme, sur le militantisme permettant la prise de conscience générale, perçue comme le meilleur outil. Les féministes radicales s’en prennent ainsi concrètement, par l’entremise d’une pluralité de mouvements sociaux et de groupes, aux enjeux de violences sexuelles, d’inceste, de violences conjugales et de féminicides, dénonçant toujours les racines patriarcales de toute forme d’abus.

Ce courant suscitant l’engouement et l’approfondissement – donc, les critiques -, il éclatera rapidement en plusieurs sous-courants toujours centrés autour de la réappropriation des corps : le féminisme radical matérialiste, le féminisme radical de la différence, le féminisme radical lesbien.

Les figures principales du mouvement, sous-courants confondus, ne sont autres que Mary Daly (1928-2010), Gloria Steinem (1934), Kate Millet (1934-2017), Ti-Grace Atkinson (1938), Robin Morgan (1941), Kathie Sarachild (1943), bell hooks (1952) aux États-Unis ; Shulamith Firestone (1945-2012) au Canada ; Germaine Greer (1939) en Australie ; et Gail Chester au Royaume-Uni.

Le féminisme matérialiste
Ce courant naît en 1975, suite à un article fondateur de Christine Delphy. Majoritairement français, il emprunte au féminisme marxiste le concept de matérialisme historique, autrement dit, de la structuration de l’histoire en fonction des rapports sociaux, eux-mêmes déterminés par les conditions matérielles d’existence. Ces rapports sociaux produisant des catégories telles que le sexe et la race, dès lors, il s’agit d’interroger leur fonctionnement, afin de comprendre les mécanismes de l’oppression. Qui plus est, cette prise de conscience entraîne une redéfinition des classes au sens marxien, qui ne sont plus vues comme le produit du système capitaliste, mais celui du système patriarcal, les femmes devant alors constituer une classe distincte. Les rapports de classe deviennent ainsi des rapports de sexe, basés sur l’appropriation des corps féminins à travers toutes les formes d’exploitation – principalement liées à la maternité et la sexualité.

Colette Guillaumin (1934-2017), Nicole-Claude Mathieu (1937-2014), Christine Delphy (1941), Diana Leonard (1941-2010), et Paola Tabet, en sont les piliers.

Le féminisme de la différence/différentialiste
Dans les années 1980, ce courant reprendra l’argument radical de l’appropriation des corps féminins par le patriarcat, et se subdivisera en plusieurs sous-courants, principalement celui de la spécificité et celui de la fémelléité (ou de la « néo-féminité »), intimement lié au courant psychanalyste féministe.

  • Le féminisme de la spécificité
    Ce courant prolongera l’idée féministe marxiste de division sexuelle du travail, en accusant la responsabilité que leur attribue la société d’élever les enfants. Il s’agit alors d’analyser en profondeur le vécu des femmes dans l’oppression quotidienne créée par les attentes sociales. Cela se traduit par des initiatives en santé des femmes, en nouvelles technologie de la reproduction, mais également concernant les violences subies par les femmes.

    Les autrices principales sont Mary O’Brien (1926-1998), Adrienne Rich (1929-2012), Barbara Ehrenreich (1941), Kathleen Barry (1941), Deirdre English (1948), et Laura Lederer (1951).
  • Le féminisme de la fémelléité
    Ce courant s’inscrit dans la volonté de reconnaître tous les aspects de la féminité, définie d’un point de vue biologique, à l’origine d’une forme d’exclusivité féminine s’exprimant dans un savoir et un pouvoir particuliers. Il s’agit d’une expérience personnelle du corps féminin, qui doit être protégé du système patriarcal et de la marchandisation. Ainsi, les principales revendications concernent la réappropriation et la revalorisation de tout ce qui touche à la procréation, à la maternité et aux rapports affectifs (notamment l’amour maternel), qui ne sont nullement perçus comme une source d’aliénation.
  • Le féminisme psychanalytique
    En France, alors que la psychanalyse est fortement décriée par les féministes radicales, principalement matérialistes, qui récusent le caractère essentialisant des discours psychanalytiques qui maintiennent les stéréotypes de genre, et dénoncent la dynamique d’apolitisation de la discipline alors même qu’elle participe des structures de pouvoir. Antoinette Fouque (1936-2014) décide alors de se réapproprier le champ d’études afin d’en déconstruire le phallocentrisme et la hiérarchisation des sexes, et de revaloriser la particularité féminine. Plusieurs psychanalyste se réclameront de cette tendance, telles que Luce Irigaray (1930), Sarah Kofman (1934-1994), Julia Kristeva (1941), et Michèle Montrelay.

Alexia Damois
Rédactrice et fondactrice de Causons féminisme.

Sources

  • Centre de documentation sur l’éducation des adultes et la condition féminine. Qu’est-ce que le féminisme ? Trousse d’information sur le féminisme québécois des vingt-cinq dernières années. En ligne.
  • Christine Delphy. 1982. « Un féminisme matérialiste est possible ». Nouvelles Questions Féministes 4 : 50-86.
  • Francine Descarries-Bélanger et Shirley Roy. 1988. Le mouvement des femmes et ses courants de pensée. Essai de typologie. Ottawa : Les Documents de l’ICREF/CRIAW n°19.
  • Laurence Fortin-Pellerin. 2010. « La représentation sociale de l’empowerment de groupes québécois du mouvement des femmes: « C’est quelque chose qui nous a été enlevé et qu’on ré-acquiert ». » Thèse présentée à la Faculté des études supérieures de l’Université Laval dans le cadre du programme de doctorat en psychologie pour l’obtention du grade Philosophiae doctor.
  • Laurie Laufer. 2016. « Corps et politique: les psychanalystes féministes et la question de la différence. » Genre et psychanalyse : 29-47.
  • Marie-Blanche Tahon. 1985. « Femmes en classe ». Dans André Corten, Modjtaba Sadria et Marie-Blanche Tahon (dir.), Les autres marxismes réels. Paris : Christian Bourgeois : 249-257.
  • Réseau Québécois en Études Féministes. 2018. Féminisme matérialiste, imbrication des rapports sociaux et perspectives décoloniales. Université du Québec à Montréal.
  • Robin Morgan. 1977. Going Too Far: The Personal Chronicle of a Feminist. Open Road Media.
  • Robyn Rowland et Renate Klein. 1996.  « Radical feminism: History, politics, action. » Radically speaking: Feminism reclaimed 9 (n°36).
  • Ti-Grace Atkinson. 1979. « Radical Feminism ». 


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