Machine anti-viol – toujours la même histoire.

Machine anti-viol – toujours la même histoire.

Je me suis demandé si j’écrivais là-dessus. Si je prenais de mon temps, de mon énergie, pour y penser, pour me rappeler, pour me raviver le passé sombre, le futur que j’espère ne pas revivre, pour me dire, pour être entendue.


C’est que mon temps et mon énergie, j’en donne déjà beaucoup à mon travail, où je milite chaque jour à coup d’amour sincèrement inconditionnel pour chaque être vivant. Mon temps et mon énergie, j’en échange avec des personnes formidables au travers de relations qui me nourrissent ou que j’essaie de labourer pour rendre plus fertiles, plus nourricières. Mon temps et mon énergie, je m’en garde une bonne dose pour prendre soin de moi exclusivement, parce que j’habite seule, que je suis célibataire et que ma famille ne vote pas du même bord du fleuve que moi ; l’égoïsme sain me traine à l’épicerie à la pharmacie à la friperie au magasin sport, me cuisine l’alimentation équilibrée, me bouge le corps en forme de sorcelleries de plaisirs contagieux de murs grimpés sans peur, m’artiste les émotions à l’image du son qui apaise et rayonne, me ménage le dedans de la maison de petit pot à l’onguent meilleur.


Donc je me suis demandé si j’écrivais là-dessus. Ça vaut-tu la peine, de renoncer à des minutes de musique, de dessin ou d’amour de mes proches, de consommer l’énergie d’une alimentation de moins en moins saine au fil du calendrier de l’avent, de laisser mon chez-moi havre un peu moins de paix un peu plus de chaos ? Pourquoi je prendrais un morceau de ma journée que j’ensoleille de moi-même pour regarder, pointer le nuage qui passe dans mon ciel de vie ?


C’est toujours la même histoire. Tout le monde a déjà été impliqué dans un bris de consentement sexuel. Ça nous est toustes déjà arrivé de ne pas oser dresser la clôture entre nous et l’autre, parfois notre jardin est piétiné. Ça nous est toustes déjà arrivé de ne pas voir la clôture parce qu’on était trop occupé.e.s à courir pour attraper le Frisbee pis bang ! une poque su’l’front, ou oups ! on écrase des fleurs par inadvertance. Mais y’a des territoires qui ne devraient pas avoir besoin de clôture. Y’a des clôtures qui sont escaladées tant qu’il n’y a pas d’yeux pour voir, de caméra pour prouver, de police pour protéger.


C’est toujours la même histoire. Des personnes cassent leur tirelire de réputation, de carrière, de frontière entre le privé et le public pour essayer de faire un monde meilleur, pour elles et pour les autres, avec l’espoir que les choses changent, que justice réparatrice existe. Des personnes bien confortables dans leur quotidien de temps et d’énergie investi.e.s, fructifié.e.s, dépensé.e.s dans leur bien-être égoïste, à elles de dire si cet égoïsme est sain, des personnes s’indignent. Certaines personnes s’indignent que l’histoire se produise, car elles ne l’avait jamais entendue dans leurs contes d’enfants, plusieurs ne nous croiront pas. D’autres s’indignent que l’histoire se reproduise, car elles ont été sorties de l’enfance par des récits de vie, la leur ou celle d’ami.e.s, qui font de cette histoire une trame de fond à leur existence. Des personnes bien inconfortables j’espère pour leur empathie limitée par leur trop petite conviction qu’elles ont du pouvoir, des personnes bien inconfortables dans leurs rôles de rouages du système qui ne nous protège finalement pas, des personnes s’endorment le soir des mots en tête << Je crois la victime, mais il n’y a pas assez de preuves. >> Des personnes trop confortables, dérangées l’espace de faire bonne figure, s’en sortent le portefeuille gonflé de réussite, une bonne affaire de faite.

Je me demande ce qui les habite, les agresseur.se.s acquitté.e.s. J’imagine qu’iels vivent un certain stress durant le processus. J’ai beau avoir toujours interagi avec des policiers qui repartaient le sourire aux lèvres, la conviction profonde d’avoir été un gentil policier protecteur derrière le gilet pare-balles, je surveille quand même un peu plus ma vitesse de traversée piétonne, mon ton de voix, et je réponds ce que je crois qu’elle veut entendre quand je vois la police. J’imagine que les agresseur.se.s aussi, modifient leurs comportements, se sentent un peu moins libres, essaient de mieux cacher ou de moins transgresser.

Mais c’est toujours la même histoire, alors j’imagine que la machine anti-viol fait défaut. Elle me fait penser à cette minoune qu’on connaît toustes quelqu’un qui conduit un vieux char qui roule mais que le radio s’arrime pas aux progrès technologiques, qui fait des sons de tracteur alors qu’il a jamais tracté de sa vie, qui dès qu’on l’arrête dans une côte te crisse le break à bras qui réussit pas à l’empêcher de reculer inexorablement sur des chars plus jeunes qui se passeraient bien de la bizoune au pare-chocs baladeur, aux caresses qui laissent des poques. Je n’ai jamais été propriétaire d’une vieille voiture, mais j’imagine que quand le prix pour la faire réparer est plus grand que la valeur de l’automobile, on la laisse quelque part pour des historien.ne.s du futur et on s’en procure une nouvelle. Je ne sais pas qui est propriétaire de la machine anti-viol, mais messemble que j’te changerais ça pour hier. La machine et le propriétaire.


Je nous verrais, la machine anti-viol communautaire, autogérée par les personnes survivantes, la justice réparatrice entre les mains, et avec, le pouvoir de nous protéger collectivement du pouvoir individuel des gens qui nous violent l’intimité. Je nous verrais, belles et confiantes, sans tabou, le silence solennel et les mots option peu dispendieuse, à prendre soin des plus marginalisées, à reprendre en main notre jardin secret que de moins en moins de pieds écraseraient.


Le rêve est tendre pour mon coeur meurtri de revivre un peu le souvenir de mes agressions, la peur des prochaines, à chaque fois que c’est toujours la même histoire. Cette histoire me rappelle mon vécu, celui qui fait partie de mon récit de vie, partie de moi, celui qui m’a fait prendre des détours, m’a fait changer de direction, m’a freinée, m’a brisée. Heureusement, je me suis réparée, bricolé une sensibilité que je protège par moi-même parce que je ne veux pas confier à la police l’énorme responsabilité de me protéger.


Mais c’est toujours la même histoire. Et croire que ça ne m’arrivera plus, à moi, c’est non seulement me mettre en danger, parce que personne n’est à l’abri, mais c’est aussi abandonner un peu toutes celles qui n’y croient pas, que ça ne leur arrivera plus.


J’ai de la chance. Au travail, je suis la seule employée qui date des femmes. Mes collègues sont toustes des femmes hétérosexuelles ou des hommes gais ou en couple avec un homme. Je ne saurais dire pourquoi, mais j’ai confiance que je suis en mesure de me protéger des personnes pour qui je travaille ; je ne me sens presque jamais menacée dans mon intégrité par leur désir.


J’ai de la chance. J’ai un coffre à outils rempli de stratégies pour dissuader les agresseurs de se frotter l’idée contre mon corps : mon poil, mes muscles, mon absence de maquillage et de brassière, ma joyeuse marginalité, ma franchise prévoyante, mon réseau social tricoté serré. Malgré tout, j’ai quand même le système d’alarme armé quand je partage mon intimité avec de nouvelles personnes, la petite peur qui se réveille et que je demande à l’autre de bercer un peu pour la rendormir. Mais je ne suis pas à l’abri. Personne ne l’est. C’est dans les résidences privées que la majorité des agressions sexuelles se produisent au Québec, souvent par des proches. C’est chez moi que je devrais avoir le plus peur, selon les statistiques.


Mais j’ai de la chance. Je n’ai pas besoin de me soumettre à des violences sexuelles pour avoir un toit au-dessus de la tête, une alimentation équilibrée dans le ventre, un sentiment d’être aimée et d’avoir de la valeur dans le coeur. Je peux faire ma difficile. Je ne l’ai pas toujours fait, mais maintenant oui. J’ai appris à ne plus faire confiance aveuglément à mes ami.e.s, à inviter les voisin.e.s à peindre des clôtures avec moi, à me distancer socialement des personnes qui fragilisent ma santé mentale.


J’ai de la chance. Mais c’est toujours la même histoire. Et malgré ma chance, cette histoire, je l’ai vécue. Et pour cette raison, parce que quand j’étais terrifiée pendant des heures en boule dans mon lit, j’avais besoin de me dire, j’avais besoin d’être entendue, mais j’avais surtout besoin d’entendre << moi aussi >> ben je dis à toutes celles qui croient que ce n’est que leur fardeau, à toutes celles qui oublient leur fardeau tellement elles sont habituées de le porter, à tous ceux qui n’oseront jamais dire publiquement que c’est leur fardeau aussi, à toutes ces personnes qui sont en colère ou en panique,

Je partage votre désarroi. Moi aussi.

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